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Frédéric Perrier : « c'est vraiment de la co-construction »
Interview tirée de la « Lettre des entraîneurs » - INSEP

Entraîneur du deux de couple poids léger féminin composé de Laura Tarantola et Claire Bové, Frédéric Perrier revient sur la façon dont il a conduit et construit la dernière olympiade autour d'un projet commun avec ses deux rameuses qui les a menées à la médaille d’argent lors des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Au-delà de cette réussite, il pointe un fonctionnement en synergie où la connaissance de soi et des autres ainsi que le partage furent les maîtres mots.

Dans quel état d'esprit avez-vous abordé les Jeux Olympiques et leur préparation ?

La « deuxième » préparation olympique a vraiment démarré au moment du report des Jeux. Il y avait énormément d'incertitudes, de stress, de gestion d'entraînement à distance, c'était compliqué mais les filles ont tenu bon. À l'issue du confinement, en juin, nous avons organisé un gros stage dans le Jura et cela a permis de retrouver toute l'équipe, de reprendre contact, de remettre les choses dans l'ordre. Dans la foulée, nous avons organisé une course, dans le sud de la France, avec les suisses. C'était pile poil un an avant les JO. On voulait vérifier l'état de forme, à la même période avec de grosses chaleurs. Non seulement, elles ont largement battu les suissesses et été très proches du record du monde. Ce qu'elles n'avaient encore jamais fait. Pour moi, ça a vraiment été le redémarrage de la préparation des Jeux. Entre ce moment et les deux/trois mois qui ont précédé Tokyo 2021, on est passés d'un très bon état de forme et d'esprit en juillet 2020 à des blessures et des périodes de doute en fin d'hiver et au printemps. Nous avons démarré la première compétition aux championnats d'Europe sans le bateau olympique car Laura était blessée. Donc nous avons engagé Claire en skiff ce qui était impensable quelques semaines auparavant.

Pourquoi ?

J'ai refusé que Laura soit remplacée. Je pensais que ça allait casser la confiance de l'équipage. J'ai préféré l'option où je lui ai dit : « tu finis de bien récupérer, de bien te soigner pendant que ta collègue court aux championnats d'Europe et quand tu seras revenue tout se passera bien. Nous avons confiance en toi. » Sa collègue obtient une médaille, cela a mis un petit coup de boost pour la médaillée mais aussi pour Laura car elle s'est rendue compte que sa collègue avait une vraie valeur au niveau international en individuel. Derrière ça, nous avions tout mis en place avec le staff médical, la préparation physique et mentale pour que le retour dans le bateau de double à la première manche de coupe du monde puisse se faire dans les meilleures conditions avec un niveau supérieur de confiance et d'accompagnement. Sur cette première étape, elles gagnent avec une confortable avance. Cela a permis de relancer la préparation à quelques mois des Jeux avec une victoire en coupe du monde. Derrière, à deux mois des Jeux, la deuxième étape est la plus importante. Elle a toujours lieu à Lucerne (Suisse) et toutes les meilleures nations sont présentes. Là, elles sont sur le podium, ce qu'elles n'avaient jamais réussi les années précédentes en coupe du monde. Ça prouve que nous sommes dans le coup pendant que nous refaisons un gros travail de fond. Nous arrivons dans la préparation de Tokyo avec tous les indicateurs au vert et en amélioration et l'arrivée se fait dans un état de confiance, de « sérénité ». Elles et moi étions plus sereins, plus prêts que nous ne l'avions jamais été.

 

En quoi le report des Jeux a-t-il perturbé vos plans et remis en cause ce que vous aviez fait depuis plusieurs années ?

Les Jeux sont l'objectif n°1 de l'olympiade et ça se construit au fil des saisons. Il se trouve que les deux filles qui n'étaient jamais montées sur un podium de coupe du monde, obtiennent en 2019 un podium aux championnats d'Europe. Elles font 2ème, c'est très bien mais c'était encore assez timide. L'objectif d'obtenir une médaille aux Jeux était bien présent et on faisait tout pour aller dans ce sens-là mais dans les faits sur toute l'olympiade, il n'y a eu qu'une seule médaille. Quand on apprend le report des Jeux, plutôt que de penser : « oh là là, il faut faire une nouvelle préparation », on s'est dit, tous les trois, que c'était une vraie opportunité. Dans le bateau français, Claire est la plus jeune parmi les huit meilleures paires mondiales. Cette année a été une vraie opportunité par le temps qui nous a été offert pour stabiliser ce qu'elles avaient commencé à toucher du doigt. 

Quel était-il ?

Leur difficulté à gérer leurs ressources et la stratégie de course. Tout le monde l'avait noté, sur leur fin de course, elles se faisaient déborder. Elles perdaient de quelques dixièmes à 3-4 secondes. En 2019, en finale des championnats du monde, elles font 1900m en étant médaillables et dans les 50 derniers mètres, elles terminent 5ème. Ce point a vraiment été travaillé dans l'année supplémentaire et il est vraiment devenu un point fort à Tokyo. Pour le coup, sur cette finale, la plus serrée des Jeux (les cinq premiers se tiennent en 1 seconde et un centième sépare les Pays-Bas 3e de la Grande-Bretagne 4e, ndlr), ce sont elles qui réalisent le meilleur chrono sur le dernier 500m. Ce n'était jamais arrivé auparavant.

Comment êtes-vous parvenu à ce résultat ?

Il y a quatre grands aspects : technique, physique-physiologique, mental et le matériel. Après les championnats du monde 2019, on a commandé deux nouveaux bateaux en demandant des adaptations matérielles permettant de gagner en stabilité de coque, très important en fin de course pour franchir la ligne à pleine vitesse. D'un point de vue technique et physique, que ce soit en bateau ou en musculation, des séances ont été créées pour travailler ces aspects en termes de vitesse et de survitesse. Cela permettait d'aller chercher un peu plus loin dans la difficulté, l'effort pour simuler. Si en fin de course il y a l’attaque d'un adversaire, il faut être capable de réagir. Ces petites choses-là ont été régulièrement faites dans la saison. Et le gros morceau, qu'il faut mettre en n°1, c'est le travail de préparation mentale qui a joué un grand rôle avec chacune des filles en individuel, sur les deux filles en collectif et sur le trio avec moi. Être conscientes qu'elles étaient capables de terminer aussi vite, même plus vite que les autres car nous avons les ressources mentales, techniques, physiques et matérielles. 

Comment expliquez-vous que les blocages aient sauté ? Une forme de maturité ?

Elles ont progressé individuellement, le volume global d'entraînement a évolué, la gestion des blessures s'est améliorée. À l'évolution normale des athlètes au fil de l'olympiade, s'est greffé ce travail de préparation mentale qui a permis de passer un cran et d'obtenir une meilleure confiance en elles.

Auriez-vous des exemples d'exercices qui auraient servi à construire cette confiance ?

Si on veut apprendre à se connaître soi et les autres, à progresser, à bien travailler ensemble, mieux communiquer et dans la bienveillance, il faut suivre un peu le même chemin et un gros travail a été fait sur la pleine conscience. Il faut être accompagné par un professionnel pour permettre à chaque personne au fil des mois et des années à mieux se connaître, gérer ses émotions, apprendre à observer des choses désagréables, inconfortables et à les apprivoiser petit à petit, les accepter tout en restant concentré. Si vous lisez ce qu'ont dit les filles après les courses des Jeux et après leur médaille, je me suis rendu compte que très souvent un terme revient : « On était focus, dans notre bulle ». C'est devenu concret en elles, qu'elles étaient capables de faire abstraction et d'axer leur concentration sur le plaisir, le geste, la vitesse du bateau, ce qu'elles ont à mettre en place tout en ayant conscience de ce qui les entoure. C'est la conclusion de tout ce travail mental.

Ce travail n'est-il pas difficile pour un entraîneur car échappant totalement à son contrôle dans le sens où il ne se soumet pas à une forme de planification ou quantification ?

Ça se planifie. Ça commence déjà par un test pour apprendre à mieux se connaître soi-même. J'ai fait le choix de le faire aussi et on a croisé ces « profilages » qui ont permis de mieux comprendre les autres, de se dire que dans de telles circonstances, elle va réagir comme ça et je sais pourquoi donc je vais pouvoir m'adapter, adapter mon discours, mes conseils, mes briefings mais ça prend vraiment du temps. En miroir, les deux filles ont appris aussi des choses sur moi. En se connaissant mieux les uns les autres, ça nous a permis des fois de passer plus facilement les caps, de mieux analyser et mieux avancer. En gros, on apprivoise la situation pour rester sur ce qu'on a à faire et trouver le meilleur chemin pour s'adapter et ne pas être perturbés. Finalement, le report des Jeux a été une situation idéale pour améliorer ce travail.

Ce travail mental a été la base de tout votre entraînement, finalement ?

Nous avons ouvert une porte où nous avons découvert plein de choses et cela a beaucoup aidé. Évidemment, ce n'est pas une recette magique. Cela demande beaucoup de travail, des athlètes réceptifs, sérieux et réguliers. Ce travail est long, on n'en voit pas forcément les effets tout de suite. Et c'est forcément à relier aux autres aspects. 

L'idée était-elle de se concentrer sur ce que vous maîtrisiez et c'est tout, surtout avec les périodes de confinement ?

Exactement. Garder la motivation et pour ça, il fallait vraiment aménager. Nous nous sommes concertés avec les entraîneurs de l'équipe de France, et nous avons fait le choix de nous asseoir sur nos convictions de volume d'entraînement et pendant trois semaines, ce qui ne nous arrive jamais, les athlètes étaient à 7/8 heures par semaine. C'est 3/4 fois moins que d'habitude. Nous l'avons fait car nous pensions que psychologiquement, ils avaient besoin de souffler. C'était un pari.

Faisiez-vous ces projets pour donner aussi des perspectives à court terme ?

Pendant cette période, c'était beaucoup de perspectives à court terme et de l'espoir à moyen terme. À court terme, c'était "qu'est-ce que je dois faire dans mon appartement avec mon ergomètre, mon vélo et ma barre de muscu ?" et pour le moyen terme, "je vais peut-être faire un stage et une régate et à long terme, le report des Jeux". Ces perspectives et espoirs se sont transformés en chemin cohérent vers les Jeux 2021.

Existe-t-il la tentation de reproduire ce schéma avec une longue pause pendant la préparation pour des compétitions à venir ?

Dans la configuration qu'on a vécue, c'était une bonne option mais elle est unique cette situation. Dans une situation « normale » avec des stages, des compétitions, nous ne reproduirons pas strictement à l'identique.

Sans aller aussi loin mais que pensez-vous de vous en inspirer pour accorder plus de pauses que ce que vous faisiez avant ?

Ça oui. Après les Jeux, nous nous étions dit que jusqu'à Noël, pendant 5 mois, elles auraient une liberté quasi-totale avec les deux premiers mois une coupure complète pour profiter des sollicitations, se détendre et les trois suivants un retour mesuré à l'entraînement, à 50 %. Quelque part, nous perdions un peu de temps car nous faisions moins et nous l'acceptions mais j'étais convaincu que ça leur ferait plus de bien. Ça aura permis de fermer le livre Tokyo et nous ouvrons le livre Paris 2024 en janvier. L'idée était d'arriver ressourcés psychologiquement et physiquement. C'est une chose que nous n'avions jamais faite auparavant.

La période n'a-t-elle pas été aussi frustrante pour vous car d'un côté vous saviez leur besoin de souffler mais d'un autre vous deviez vous demander si ce temps accordé n'était pas une bêtise ?

Pour moi, ce n'était pas évident. J'ai tenu jusqu'au bout en me disant que c'était reculer pour mieux sauter. L'objectif est en 2023 pour les qualifications et en 2024 pour les Jeux de Paris et si on doit faire à un moment cette coupure, c'est maintenant ou jamais. C'est ce que je leur ai dit. Elles en avaient besoin, je le voyais et elles le disaient donc ça aurait été contre-productif et ça aurait généré des problèmes de leur imposer une reprise précoce. 

Pourquoi était-ce important de leur laisser le choix de construire leur projet avec vous ?

C'est super important et incontournable. Ce sont des adultes, des filles qui savent ce qu'elles veulent et je ne peux pas envisager mettre en place une forme de dictature. Ça ne pourrait pas marcher, ça irait au clash. Même si à un moment je suis là pour trancher, je partage. Si j'envoie un programme et qu'elles me disent que ça ne va pas, on voit pourquoi et derrière, je m'adapte pour que je parvienne à mes fins sur la programmation et qu'elles puissent s'organiser au mieux et que la combinaison puisse bien se faire. Tout est partagé, expliqué pour pouvoir faire les meilleurs choix possibles. Je garde toujours en tête là où je veux aller et tout le monde se sent investi. Ça nous permet d'avancer. Pas plus tard qu'hier (au moment de l'entretien), on était dans ce cas. Avec une fille, ça n'allait pas très bien. On a mis les choses à plat, on s'est mis d'accord en face à face et c'est comme ça tout le temps. Avant j'entraînais des garçons (plus jeunes et moins expérimentés) et c'était différent dans l'approche, plus direct, plus frontal. Il fallait être un peu plus directif. Là, c'est vraiment de la co-construction. C'est la base de notre fonctionnement avec la bienveillance. Derrière, il y a de la confiance qui s'est construite au fil du temps car elles savent qu'il y a une programmation faite par des spécialistes et que ça ne sort pas du chapeau.

Cette construction implique de fait une bonne connaissance de chacun et de savoir ce qui peut ou non fonctionner en fonction de chacun et chacune ?

On en revient au profilage. Ce qui est fait pour l'une ne l'est pas forcément pour l'autre. En plus, elles n'ont pas le même âge, sont dans une situation de vie différente. On ne peut donc pas appliquer la même recette aux deux.

Le fait de devoir gérer un duo complexifie-t-il votre tâche sachant que ces deux personnalités différentes ne doivent plus faire qu'une dans le bateau ?

La philosophie est de niveler par le haut. En aviron, avant de créer un équipage collectif, nous avons une sélection individuelle. Cela veut dire qu'il faut toujours être parmi les deux meilleures françaises pour être dans le bateau. Quand elles ont qualifié la coque pour les Jeux Olympiques en 2019, c'est la coque pour la France qui était qualifiée pas les personnes à l'intérieur. C'est-à-dire que vous pouvez qualifier un bateau et un adversaire français peut vous piquer la place. C'est un élément pour niveler par le haut. Sur la gestion, forcément nous allons individualiser mais c'est complémentaire. Des fois, des gens ne s'entendent pas très bien mais savent que cette organisation est la meilleure pour performer. C'est comme un collègue de travail. On n'est pas obligés de bien s'aimer pour réaliser un projet si c'est la meilleure association. C'est notre boulot, en prenant en compte les meilleures individualités françaises, de trouver les meilleures associations techniques, physiques, psychologiques aussi, même si c'est plus difficile à évaluer. 

Cette concurrence est aussi une chance ?

Il faut constamment reprouver sa valeur et heureusement car sinon on finirait par se relâcher, moi le premier. Là, il faut tout reconstruire car c'est un autre livre. On ne continue pas le précédent, on en ouvre un nouveau.

Quels seront vos principaux axes de travail sur ce nouveau livre ? Quelles pistes d'innovation ?

Nous allons poursuivre et améliorer les aspects de préparation mentale et de suivi psychologique. On continue avec Emilie Thienot (psychologue de la performance) et on va aller chercher un peu plus loin. Pour la nutrition, on avait optimisé au maximum et on va aller plus loin sur un suivi plus large tout au long de l'année, sur les périodes d'entraînement et de tests hivernaux. Sur les aspects techniques, nous avons bossé avec une biomécanicienne et nous continuerons. Et le meilleur pour la fin, car il faut se renouveler, la fédération a choisi de recruter Jürgen Gröbler, un ancien allemand de l'Est qui a travaillé des années avec l'équipe anglaise d'aviron (de 1991 à 2020). C'est l'entraîneur le plus titré au monde en aviron (15 titres olympiques entre 1976 et 2016, dont 5 sur 6 possibles, aux JO 1988 avec les allemandes de l'Est, ndlr). Il a ses méthodes d'entraînement. Me concernant, je le prends comme une opportunité de se réinventer en partie car les fondamentaux restent identiques mais avec un vent de nouveautés, des adaptations nouvelles chez les athlètes. Et si jamais ça ne fonctionne pas bien, les Jeux sont en 2024, on aura aussi la possibilité d'ajuster.

Concernant les JO de Tokyo, comment avez-vous fait pour que vos athlètes soient prêtes pour une entrée en lice précoce ?

Par exemple, nous ne pouvions pas faire la cérémonie d'ouverture car la première course démarrait le lendemain. On le savait depuis longtemps et tout le travail de fond avait été fait avant. Nous étions sur place 15 ou 17 jours en avance à Tokyo. Nous sommes partis du principe que les Jeux Olympiques seraient une régate, un 2000m comme un autre et il était hors de question qu'il en soit autrement. Sur toutes les courses, notre but c'est d'être les meilleurs possibles, le plus focus sur les moyens qui nous permettent d'être le plus rapide possible et là, ça ne doit pas être différent. L'état d'esprit a été construit comme ça. Après sur les moyens concrets, Tokyo a un climat très chaud, très humide, très différent de la France. Nous avons fait le choix de ne pas faire de stage deux mois avant au Japon pour des raisons sanitaires mais aussi d'éloignement. Tenter un nouveau site d'entraînement juste avant les Jeux, c'est une prise de risque et nous sommes allés sur notre base dans le Jura. Par contre, nous savions que nous devions nous préparer à ce climat spécifique, préparer les organismes. Nous avons mis en place pendant la préparation terminale de presque deux mois, des « thermo-room » où les athlètes faisaient des efforts. Nous l'avons fait de manière progressive et cela a super bien marché. Ils sont arrivés à Tokyo sans aucune gêne de la chaleur ou de l'humidité. C'était même plus facile qu'en France. 

Comment les filles ont-elles réagi ?

Les indicateurs étaient bons. Étonnamment, il y avait moins de stress qu'en d'autres circonstances. C'est super gratifiant et c'est sûrement lié au travail évoqué, même si sur place bien sûr qu'il y avait du stress et heureusement sinon c'est la contre-performance assurée, mais il y avait une espèce de sérénité, de confiance et de concentration au-delà de toutes les compétitions qu'elles avaient pu faire. Et c'est communicatif. Elles sont dans cet état-là, moi, je suis très sûr de leurs capacités, de ce qu'elles peuvent réaliser et il y a un ping-pong confiance-sérénité qui passe entre nous. Juste avant la finale, j'étais tellement convaincu qu'elles pouvaient réaliser un énorme truc que mon dernier mot en poussant le bateau du ponton, c'est : « Vous êtes les meilleures. Vous pouvez gagner ! » Je ne leur avais jamais dit ça. Nous étions prêts.

Le fait de battre les italiennes en séries a-t-il entretenu cette confiance ?

Une première course qui se passe comme ça fait toujours du bien, face aux italiennes, championnes d'Europe en titre. Depuis les sélections de 2019, elles n'ont fait que monter donc les battre en séries, en ligne, ça a assis la confiance et la sérénité qui déjà se dégageait. Ce n'est jamais normal de gagner des courses de ce niveau-là mais c'était prévu dans la tête. On savait qu'on était dans le vrai. 

Quelle a été votre réaction après la demi-finale ? Le but était-il simplement de passer en finale ou alors le fait de finir avec le 5ème temps vous a gêné ?

L'objectif, c'était la finale et elles l'avaient bien en tête. Autant par le passé, ça aurait pu être un élément d'interrogation, de stress, de doute, là, le boulot avait été fait. Et sur une finale olympique tout peut arriver. C'était leur état d'esprit. Le chrono de la demi-finale n'est pas rentré dans l'équation.

Que leur avez-vous dit avant la finale outre votre encouragement ?

L'objectif était d'aller chercher la finale et une médaille et je me demandais ce que j'allais pouvoir leur dire sans tomber dans l'écueil d'un discours trop guerrier, ce qui s'était passé à Lucerne quand elles font 3ème. Sur le briefing de la veille au soir, je ne veux pas qu'elles retournent dans leur chambre déjà prêtes à faire leur course alors qu'il faut dormir donc là, c'est toujours très apaisant avec des détails techniques. Par contre, le discours d'avant course, dans le garage à bateaux, là, c'est vraiment des mots de confiance, des clins d'œil à ce qui a été fait. J'avais axé sur la frustration de Linz où elles finissent 5ème alors qu'elles étaient sur le podium à 4m de la ligne et sur celle de Lucerne où elles avaient perdu les pédales en finale. Je voulais qu'elles n'oublient surtout pas ça de manière à le réutiliser, à avoir de l'énergie grâce à ça. Il y a eu un clin d'œil aussi par rapport aux proches qui les ont soutenus, à tous les écueils rencontrés.

À aucun moment, vous n'avez craint qu'elles ne passent à côté ?

Dans les tribunes, quand elles rentrent dans le dernier quart de course (il reste 500m), elles pointent 4ème. Là, il y a une espèce de flashback où je me dis que non, ça ne peut pas se reproduire. Je prends un petit coup. Ça a duré peut-être 10 secondes et là, je les vois partir le couteau entre les dents, à l'attaque et là, c'était bon. Elles font le meilleur chrono sur le dernier 500m de toute la finale, au-delà de la vitesse du record du monde.

En quoi le fait de viser une médaille, d'avoir des ambitions a-t-il impacté votre approche des JO ?

On y va tout le temps pour une médaille. La médaille n'a jamais été un frein ou une pression supplémentaire dans la mesure où tout le travail des années précédentes était centré sur les moyens de sortir leur meilleur niveau. Tout le monde veut avoir une médaille mais vous, concrètement, qu'est-ce que vous devez faire pour aller le plus vite possible, ce qui vous permettra d'accéder au podium. C'est là-dessus qu'il faut se concentrer. Aujourd'hui, il y a un truc qui a été fait et on a envie de refaire aussi bien. Ça rajoute dans l'équation un truc qu'il va falloir apprendre à gérer. Ça va être l'objet des mois et des deux années à venir.

À quel moment avez-vous été convaincu que ces JO seraient bons pour vous ?

Il y a trois choses : la très bonne préparation terminale, la victoire contre les italiennes en séries et quand les filles ont préparé leur demi-finale, les garçons (Matthieu Androdias et Hugo Boucheron) venaient d'être champions olympiques. Ça, je m'en suis un peu servi. On a suivi la même préparation, ils ont aussi eu des écueils donc je leur ai dit qu'elles avaient le même chemin. À la fois, il y avait de la joie pour les garçons et en même temps, elles devaient rester concentrées sur leur sujet. Mais ça prouvait que c'était possible.

Propos recueillis par Christopher Buet le 02/03/2022

La « Lettre des entraîneurs » - INSEP

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